L’église de Jussy vers 1925 – © Société Académique de Saint-Quentin
4 avril
au1er juin
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L’église de Jussy vers 1925 – © Société Académique de Saint-Quentin
« Le village moderne », Jean Charavel, Robert Enault et Marcel Mélendès, Les Annales, 6 décembre 1925 – © Société Académique de Saint-Quentin
En mars 1917, le repli des troupes allemandes sur la ligne Hindenburg, qui passe à proximité de Saint-Quentin, engendre la destruction quasi-totale de nombreux villages. Les clochers sont particulièrement visés, en tant que postes d’observation potentiels. Une fois la guerre terminée, la reconstruction se met peu à peu en place.
L’un des architectes les plus prolifiques de la Reconstruction dans le secteur de Saint-Quentin est le Marseillais Jean Charavel. À l’instar d’autres architectes dans les régions dévastées, il installe son cabinet à Saint-Quentin, assisté de Marcel Mélendès et Robert Enault. Outre leurs réalisations dans la ville, comme la célèbre école de musique de la rue d’Isle, le cabinet a également travaillé à la reconstruction de plusieurs villages.
En 1922, le cabinet remporte un concours lancé par la commune de Roupy pour la reconstruction des édifices communaux et de la place principale du village. C’est ainsi qu’à Roupy, mais aussi à Jussy et Vermand, sont reconstruits de monumentaux hôtels de ville, des écoles, des maisons et quelques commerces. Les dommages de guerre permettent de financer des plans d’aménagement qui repensent entièrement l’espace.
Vitrail du choeur de Vermand – © P-Y Bertho
Pour reconstruire les églises, Charavel s’entoure d’artistes tels que le sculpteur Raoul Josset ou son frère peintre, Paul Charavel. Ensemble, les artistes et architectes travaillent à imaginer des édifices cohérents, dans l’esprit de l’Art déco pour lequel tous les arts et supports doivent être mis au service d’une sublimation de l’architecture.
Les trois clochers sont faits de béton armé ajouré, dit en « dentelle de béton », et les églises sont parées de briques rouges, matériau du pays concourant à l’esprit régionaliste qui rappelle la proximité des Flandres.
Vermand, la nef de l’église – © P-Y Bertho
L’église Sainte-Marguerite de Vermand est particulièrement réputée pour ses vitraux, dont les cartons ont été réalisés par Paul Charavel. Les scènes figuratives représentent des épisodes bibliques ou historiques. C’est ainsi que l’on retrouve l’Annonciation mais aussi le baptême de Clovis ou saint Louis rendant la justice sous un chêne. Le culte de certains saints canonisés récemment, comme Thérèse de Lisieux ou Jeanne d’Arc, s’affermit après-guerre et trouve sa traduction dans une représentation abondante sur les vitraux des églises. Vermand possède ses propres représentations des deux saintes. Les vitraux sont financés par les dons de plusieurs familles.
La position de l’autel, centrée et légèrement surélevée, n’est pas sans rappeler la liturgie des premiers temps de la chrétienté. Le lanterneau, aujourd’hui comblé, dispensait une lumière zénithale qui soulignait le caractère sacré de l’autel.
Vermand, vitrail représentant saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine apparaissant à Jeanne d’Arc – © P-Y Bertho
On entre dans l’église par un clocher-porche. Ce dernier comporte une grande croix latine sur chaque face, dans laquelle sont découpées des croix plus petites. Ce motif se retrouve au niveau de la tribune. Quatre anges de béton armé aux bras tendus sont disposés à chacun des points cardinaux.
L’église paraît bien plus vaste qu’elle ne l’est de par ses proportions harmonieuses et sa nef aérée en forme de parabole. De même qu’à Vermand, l’autel est surélevé par la présence de la sacristie en dessous. Un déambulatoire permet de le contourner pour suivre le chemin de croix à taille humaine peint sur toile marouflée par Paul Charavel. Le grand Christ en croix de Josset répond à celui, plus petit, de la rosace. Cette dernière comporte également une représentation de la croix de guerre obtenue par le village.
Les motifs de l’Art déco sont omniprésents, que ce soient les ferronneries de la clôture de chœur, les motifs serpentins du granit au sol, les appliques murales reprenant l’iconographie de la vigne et du blé, les fleurs orangées et les gerbes des vitraux…
La campagne de restauration de cette église s’est achevée en avril 2022.
Roupy, choeur de l’église avec le Christ en croix, le chemin de croix et les baies paraboliques – © P-Y Bertho
À Jussy, l’église n’est pas intégrée à la place du village. Elle se trouve un peu plus loin, mais a cependant été inaugurée le même jour que la mairie, les écoles, le pont et le monument aux morts, en avril 1925.
Comme à Roupy, l’entrée de l’église se fait via le clocher-porche. Dominant l’entrée, une immense statue-colonne de saint Quentin se fond dans l’angle du clocher et semble soutenir la structure. À l’intérieur, rien n’entrave l’espace, les bas-côtés n’étant délimités que par une clôture basse. Les vitraux aux teintes bleutées et orangées, datés de la seconde Reconstruction, reprennent l’iconographie traditionnelle. La rosace à remplages de béton armé au-dessus de la tribune figure l’Agneau pascal.
La principale particularité de l’église consiste en sa poutre de gloire en béton armé, élément que l’on retrouve habituellement dans les églises médiévales.
À cause de l’emploi expérimental de matériaux jusqu’alors méconnus, en particulier le béton armé, certains édifices résistent mal au temps qui passe. À Jussy, le clocher comporte ainsi de nombreuses fissures. L’église devrait prochainement faire l’objet de restaurations.
Jussy, détail du clocher – © P-Y Bertho
Jussy, vue sur la nef et le chœur depuis la tribune – © P-Y Bertho